VOYAGE(S) & TRANSITION(S)
VOYAGE(S) & TRANSITION(S)
Tourisme & économie circulaire
Interview de Raphael de Circul'r
Cet article est la retranscription d’une interview que j’ai eu la chance de faire avec Raphaël Masvigner .
Raphaël est le co-fondateur de Circul’R , qui a pour mission d’accompagner les organisations dans leur transition vers un modèle économique respectueux de l’humain et de l’environnement.
Nous avons eu une discussion passionnante avec Raphaël, qui j’espère vous donnera envie d’aller creuser le sujet de l’économie circulaire et de chercher les manières de l’appliquer au tourisme ou à d’autres secteurs d’activités.
Raphael est passionné par son sujet, comme vous le verrez nous avons commencé en nous vouvoyant et on a fini en se tutoyant. J’ai hésité à changer cela mais finalement cela vous donne aussi le ton et l’atmosphère de cette discussion.
J’avais encore plein de questions et la discussion aurait pu durer encore longtemps mais (mal)heureusement Raphael devait repartir changer le monde …et surfer aussi…
Bonne lecture !
Bonjour Raphaël, merci de nous consacrer un peu de votre temps. Pour commencer, pouvez-vous me raconter un peu votre parcours qui est lié au voyage si je ne me trompe pas ?
Oui, complètement. Je suis un grand passionné de voyage devant l'éternel. Un de mes rêves depuis tout petit, c'était de faire un tour du monde. Et en fait, c'est ce qui m'a animé toute ma vie. J’ai eu la culture du voyage de par mes parents qui étaient professeurs et de grands voyageurs. Ma mère a notamment grandi en Afrique et elle voyait le voyage comme un vecteur d’apprentissage, elle nous a donc transmis cette passion très tôt. Chaque année, on partait, on voyageait avec mes parents et ma petite sœur. Et ça m'a donné goût au voyage.
Pourquoi ? Parce que je me rendais compte que ça me permettait de rencontrer d'autres personnes, de découvrir d'autres cultures. Et j'avais cette curiosité qui était nourrie par le voyage. Cela a donc été au cœur de mon développement personnel depuis le début.
Le point d'orgue a été cette envie de tour du monde. Dans le cadre de mes études, j'ai pas mal voyagé, j'ai fait ma licence en Angleterre, j'ai fini mon master au Brésil qui est mon pays coup de cœur.
Dès que j’ai commencé à travailler, je me suis promis qu’au bout de trois ans, je ferais un tour du monde autour d'un projet qui m'intéresse. Et en 2015-2016, j’ai réalisé ce rêve avec mon associé Jules et c'est ce qui a donné naissance à Circul’R.
J'ai commencé ma carrière professionnelle au Brésil chez Airbus puis j'ai continué dans la même entreprise au Mexique. Donc encore le thème du voyage. Vous voyez, c'est quand même une ligne directrice dans mon parcours.
Une fois au Mexique, j’ai voulu lancer ce tour du monde dont je rêvais. Je voulais que ce tour du monde soit orienté autour de l'entrepreneuriat et j'avais besoin d'un associé. Et c’est là que j’ai rencontré Jules. Nous avons deux passions en commun : les océans et le surf. Et on s'est demandé comment allier notre passion pour les océans, le voyage et notre quête de sens ? Et on a regardé les problématiques environnementales qu'il y avait. On a découvert la problématique du plastique et on s'est rendu compte que d'ici 2050, si on continue comme ça, il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans.
C'est déjà le cas dans certaines zones du monde, comme au nord du Cap Corse où il y a plus de microplastiques que de plancton. Donc c'est une vraie réalité et on ne peut pas laisser notre planète se détruire comme ça. En creusant le sujet, on a découvert la thématique de l'économie circulaire, notamment en faisant appel à l'Institut national de l'économie circulaire qui venait de se créer en France. Nous avons « découvert » que l'économie circulaire, ça va au-delà des déchets. C'est un modèle économique qui propose de préserver les ressources naturelles et aussi de ne plus produire de déchets. Bref, c’est génial !
Avec Jules, on a commencé à regarder ce qui se faisait un peu partout dans le monde sur le sujet et on avait aucune info sur ce que faisaient les entrepreneuses/entrepreneurs. Il y avait juste la fondation Ellen MacArthur qui venait de se monter sur le sujet. Encore une fois, une grande voyageuse qui a découvert l'économie circulaire à travers le voyage. Mais aucune info plus précise. Donc là, on s'est dit : « banco ! »
On a besoin de découvrir cette thématique et c'est pour ça qu’on est parti faire ce tour du monde autour de l'économie circulaire.
Et donc vous êtes partis, sac au dos, avec comme objectif d’aller rencontrer des acteurs de l’économie circulaire dans le monde ?
Exactement. On a quitté notre emploi chez Airbus, on a créé une association dont l'objectif était de faire le premier tour du monde de l'économie circulaire. À l'époque, on avait récupéré un peu plus de 100 000 € auprès de grandes entreprises qui étaient potentiellement intéressées par la thématique, qui nous ont sponsorisé. Et ça nous a permis de partir 17 mois dans 22 pays sur les cinq continents, rencontrer 150 entrepreneuses et entrepreneurs de l'économie circulaire.
Ensuite on est rentré en France. On a fait pas mal de conférences sur le sujet en Europe pour mettre en avant toutes ces solutions. Le grand enseignement de ce voyage était que l’on a les solutions aujourd'hui pour mettre en place cette économie circulaire.
Par contre, l'enjeu principal, c'est de faire passer ces solutions à grande échelle et dans une durée de temps qui est assez limitée.
D'où l'importance de faire collaborer les porteurs et porteuses de solutions qu'on avait vu sur le terrain avec les grands groupes qui sont certes les principaux pollueurs, mais qui sont aussi ceux qui ont la possibilité de faire passer à l'échelle ces solutions. Finalement on a transformé ce projet associatif en entreprise.
Et aujourd'hui notre mission chez Circul’R, c'est d'accompagner les grands groupes dans leur transition vers l'économie circulaire.
Mais au fond, c’est quoi l’économie circulaire dont on parle depuis quelques minutes ? Comment vous expliqueriez ce concept ?
L’économie circulaire c’est comment utiliser intelligemment les ressources naturelles pour vivre dans un monde sans déchets et appliqué au monde de l'entreprise.
Et appliqué au monde de l'entreprise, c'est de réfléchir à un business model qui permette de préserver les ressources et de ne pas produire de déchets.
Dans le détail, il y a trois grands concepts dans l'économie circulaire : mieux produire, mieux utiliser et donner une nouvelle vie. Cela nécessite de changer notre manière de penser et de fonctionner.
Comment je vais mieux concevoir mes produits pour qu’ils ne deviennent pas un déchet à la fin. C’est à dire repenser l'usage qu'on en fait. Les trois grands piliers sont donc : mieux produire, mieux utiliser et donner une nouvelle vie. Cela nécessite de changer notre manière de penser et de fonctionner.
Et pour quelles raisons il est nécessaire de changer notre manière de penser et de fonctionner ?
Nous sommes dans un système économique qui est obsolète. Notre modèle économique date de la révolution industrielle soit 1750. Donc il y a quand même plus de 250 ans.
On était parti de deux postulats de base : le premier qu'on avait des ressources en quantités illimitées dans les sols. Or aujourd'hui, on sait que ce n'est pas le cas. Les ressources fossiles dont nous dépendons s’épuisent.
Le second postulat est que la Terre pouvait absorber l'ensemble de nos déchets. Mais ce n’est pas le cas. La Terre n'arrive pas à les absorber. Ce modèle issu de la révolution industrielle est un modèle dit linéaire : j’extrais, je produis et je jette.
Notre économie est linéaire à plus de 92 %, elle est à 8 % circulaire. Il est donc indispensable que ce modèle d’économie circulaire soit plus mis en avant.
L’économie circulaire permet à la fois de préserver les ressources naturelles et de ne pas produire de déchets. L’idée de l'économie circulaire, c'est de boucler la boucle, de réutiliser les ressources en permanence. Donc du coup, il n'y a pas de ponction de nouvelles ressources et il n'y a pas de production de déchets, donc il n'y a pas d'émissions de CO2.
J’aimerais que l’on commence à faire le lien entre tourisme et économie circulaire. Comment tu t’adresserais aux entrepreneuses et entrepreneurs du voyage ?
Dans l’économie circulaire, il y a la notion d’éco conception. Si on doit la définir de façon très simple, c'est comment penser la conception d'un produit ou de mon offre de voyage en amont pour qu'elle ait le moins d'impact possible ? C'est aussi simple que ça.
Et donc l'éco conception dans le tourisme, c'est de se dire par rapport à mon offre touristique, comment je la pense pour qu'elle ait le moins d'impact possible sur la planète.
Le tourisme est responsable d'un point de vue mondial, d'à peu près 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Et si on regarde la France, ,c'est à peu près 11 % des émissions de CO2 Ce qui est intéressant dans l'éco conception, c'est l'analyse de cet impact, et de réfléchir aux moyens dont je dispose pour réduire les émissions carbone liées à mon offre. Du coup, notre offre est fortement émettrice de carbone, Comment je peux réduire le carbone dans mon offre ?
L’éco-conception c’est donc comprendre les grands postes impactant en matière environnementale et tenter de les réduire.
Deux exemples que j’aime beaucoup :
Sailcoop, une coopérative qui propose des voyages à la voile avec comme ambition de pouvoir proposer des alternatives de transports à la voile là où c’est possible.
Ou encore Bathô à Nantes qui récupère d’anciens voiliers et les transforme en lodge. On est totalement dans un exemple concret de réutilisation.
Concrètement pour une agence de voyage ou une agence réceptive, cela implique donc de choisir ses prestataires, ses partenaires en fonction de critères précis et s’assurer qu’ils aient le moins d’impact possible ?
Exactement. Et c’est que nous faisons chez Circul’R. Nous mettons en place des chartes d'achat ou des chartes partenariales circulaires, on crée un questionnaire ou un module de notation qui permet, quand on passe par un prestataire de services, de lui poser un certain nombre de questions et de pouvoir le noter en quelque sorte. Par exemple, s'il est à huit sur dix, nous pouvons travailler avec lui, il rentre dans ma liste de partenaires, S'il est à moins de huit, nous ne travaillons pas avec lui.
Vu que tu es passionné du Brésil, si tu avais une agence réceptive au Brésil qui accueille surtout des français, qu’est-ce que tu ferais ? Question pas facile !
La première chose, ce serait déjà de faire le bilan carbone de mon activité, savoir les grands postes d’impact carbone.
Par rapport à ça, je commencerais à réfléchir à quelles sont les actions que je peux mettre en place ? Est-ce que je peux changer certains prestataires, est ce que je dois revoir mon offre de voyages par exemple ?
Une deuxième piste serait d'avoir une approche beaucoup plus décarbonée. Par exemple, au Brésil, je réfléchirais à changer potentiellement de cible, de clientèle, pour la rendre plus locale. Mon objectif, ce n'est plus de donner envie à des Français de venir au Brésil car le trajet en avion est déjà trop impactant.
En changeant de cible, je propose au Brésiliens et aux pays limitrophes de découvrir d'une autre façon avec des offres de voyages vraiment décarbonées.
La troisième chose qui va avec, pour moi, c'est d’avoir un nouveau récit. C'est à dire que les agences de tourisme doivent créer un nouveau récit pour rendre le local et le décarboné ultra sexy.
Je te rejoins, mais est ce que tu ne crois pas aussi que parfois le fait de trop parler d'écologie fait fuir les gens ? Et qu’en fait il ne faut pas mieux essayer de faire du durable une norme et donc d'arrêter d'en parler. Que ce ne soit plus un discours marketing, mais une vraie habitude ancrée dans les pratiques.
Je pense qu'en fait c'est dans la façon dont le message est véhiculé. Si on est dans un message de donneur de leçons, alors là on se met tout le monde à dos. Si en fait on l'illustre, en faisant de la pédagogie et en montrant en quoi cela rajoute un vrai plus à l'expérience alors on part à la conquête d'un nouveau marché.
Aujourd'hui, soyons réaliste, c'est quand même une problématique de gens qui ont les moyens de se préoccuper de ça. Malheureusement pour 70 % de la population, leur première préoccupation est d'abord se nourrir, s'éduquer et autres. Mais petit à petit ça va devenir la norme
Je pense que c'est un vrai atout commercial et marketing de le mettre en avant sans tomber dans le greenwashing.
On sait qu'on n'est pas parfait et le dire en toute transparence. Cela change le rapport complet avec le consommateur.
Il devient un partenaire qui va co-construire potentiellement avec la marque. Et cela a un vrai pouvoir pour concevoir l'offre touristique de demain
Pour finir, petite mise en situation : on est en 2023, tu as une agence réceptive au Brésil avec cinq salariés.
100 % de votre chiffre d'affaires vient de clients français, les demandes explosent, vous êtes débordés mais vous savez que le système ne peut pas tenir. Que fais-tu pour « rediriger » ton entreprise ?
Je rassemblerai mes équipes et je ferai un petit exercice de prospective en leur disant :
« On veut être encore là en 2030. Qu'est ce qui va se passer ? C'est quoi le monde en 2030 ? Et du coup, par rapport à ça, quelle va être notre offre en 2030 ? »
J’espère que nous ferons le même constat et qu’en 2030 le voyage aura changé et on a donc besoin d’anticiper. Je pense que les voyages lointains vont être de plus en plus chers. Il y aura potentiellement des quotas carbone. Donc déjà rien qu'avec ce constat, je réoriente mon offre pour qu'elle soit ultra locale et décarbonée. Je mets l'accent sur des transports beaucoup plus sobres en carbone, donc vélo, bus, train.
Je pense aussi que les gens vont être de plus en plus conscients de l'impact que notre modèle actuel a sur notre planète. Cette prise de conscience qui ne fait que s'accélérer va modifier notre rapport au voyage.
On va passer d'un simple voyageur à ce que l’on pourrait appeler des « voyag’acteurs »
Donc il faut réfléchir à ce qu'on peut proposer en plus que juste le voyage.
Comme proposer des solutions pour passer à l'action.
Par exemple Surfrider a mis en place un projet qui s'appelle Plastic Origin et qui permet aux gens, quand ils voyagent à côté de lacs ou de mers, de mettre en avant des spots de plastique. Donc, en plus dans mon voyage, je sens que je suis acteur et que j'apporte de la valeur ajoutée
Et enfin dernier constat, je me dis que le voyage va être beaucoup plus lent, moins rapide, On va aller vers du slow travel.
Donc cela veut dire que les congés et le monde du travail vont évoluer. C'est à dire qu’aujourd'hui, on est obligé de consommer rapidement du voyage parce qu'on a cinq ou six semaines de congés. Je pense donc que la politique de congés des entreprises va évoluer et du coup on va pouvoir faire des voyages différents.
Donc je pense que le monde de l'entreprise va devoir s'adapter aussi à ce à ce nouveau mode de voyage.
Merci Raphaël !
Merci à toi et bonne continuation !
Circul'R
Circul'R s'attache à placer son expertise au service de la transition des entreprises et des territoires vers une économie circulaire.
Si jamais, vous êtes intéressés pour être accompagné par Circul’R et réfléchir à comment appliquer l’économie circulaire à votre activité, vous pouvez contacter Raphael : raphael.masvigner@circul-r.com
Vouvoyez le au début mais vous verrez que vous allez vite le tutoyer ! C’est comme ça avec les gens sympas !