
Ricochets raconte le voyage dans ce qu’il a de plus humain : ceux qui l’inventent, le vivent et le réinventent, jour après jour, sur le terrain.

Atypique Voyages : Tisser des liens, pas des circuits
Il y a des voyages qui s’organisent. Et d’autres qui se tissent. Point par point, visage après visage, silence après silence. Atypique Voyages est de ceux-là.
Tout commence dans un salon de grand-mère à Colombo, une table, un ordinateur, et cette idée encore floue : relier deux mondes. Chamika, né au Sri Lanka mais grandi en France, revient sur son île natale avec une envie viscérale : la raconter autrement. Marjorie, elle, débarque pour un stage à l’ambassade. Elle reste pour une histoire. Une histoire de rencontres, de transmission, de rêve partagé. Ensemble, ils n’ouvrent pas une agence : ils tracent un pont. Ce pont entre la France qu’ils connaissent et le Sri Lanka qu’ils habitent devient leur force. “On a le meilleur des deux mondes, on comprend vos attentes parce qu’on est comme vous, mais on vit ici donc on peut y répondre sur place”, résume Marjorie.
Dans leur garage puis une petite maison louée, ils recrutent deux ou trois personnes. Rapidement, des agences françaises sont séduites par leur manière de faire : guider les voyageurs sans les balader, former et bien payer les chauffeurs, choisir des hébergements qui ont une âme. Pas de circuits tout faits, pas de folklore reconstitué.
Même Pablo, fraîchement arrivé comme directeur général adjoint, expert du tourisme en Asie, s’étonne : pas de circuits préconçus ? Non. Chez Atypique, tout commence par l’écoute. “Je dis aux agences : j’ai des jolies pièces de puzzle, chaque activité, chaque hébergement est une jolie pièce. Vous, votre job, c’est de construire le puzzle qui ressemble aux clients”, explique Chamika. Pas de programme maître qu’on adapte. Chaque itinéraire renaît d’une page blanche. Leur force, ce sont leurs “pépites” : dormir dans un monastère, naviguer avec un pêcheur en catamaran au lever du jour, cuisiner chez l’habitant, réaliser un batik dans une maison de famille, cueillir du thé avec les femmes des plantations… Chaque pépite est unique, fragile, précieuse. Et pour qu’elles le restent, l’équipe éparpille les voyageurs, trouve de nouveaux lieux, de nouveaux visages. Les pêcheurs tournent pour que le tourisme reste un complément, jamais une dépendance

Car créer ces pépites, c’est aussi un art. “C’est moi qui rédige toutes les descriptions. On doit faire voyager les clients avant le voyage, on n’a rien de tangible à vendre”, souligne Marjorie. Chaque mot compte. Même avec l’intelligence artificielle qui aide désormais, “il faut réussir à rester atypique et différent.”
Mais derrière ce tissage patient, il y a eu des secousses. En 2019, les attentats frappent le pays. Puis le Covid. Atypique passe de 25 à 4 personnes à temps plein. Le Sri Lanka se confine, l’armée livre à manger. Marjorie travaille à l’école française. Chamika monte une épicerie en ligne. Ils s’accrochent. Ils trouvent du sens dans ces parenthèses : voir grandir leur fils Léon, né pile un an avant, vivre autrement, réfléchir au futur du voyage.
Vient la crise économique de 2022. Pénuries d’essence, files d’attente. Expérience atypique : les voyageurs doivent parfois faire le plein dans un camp militaire de Colombo ! Pourtant, ils repartent conquis : “Le pays pour moi tout seul.” Alors Atypique Voyages encourage les agences à continuer de proposer le Sri Lanka. Par solidarité. Par certitude que ces moments d’exception créent les souvenirs les plus forts.

Cette résilience s’incarne dans chaque choix.
Leur mission : relier sans folkloriser.
Et parce qu’un voyage réussi implique trois acteurs - l’agence, le voyageur et le réceptif -, Atypique milite pour cette vraie tripartite. “Plus on a d’informations sur le voyageur, plus on peut construire quelque chose qui lui ressemble, plus on met dans le mille dès la première version.” Ils se souviennent encore de ce voyageur débarquant avec des attentes 4 étoiles alors que l’agence avait validé du charme local - un malentendu évitable qui a marqué leur approche.
Et cette approche artisanale se retrouve dans chacun de leurs projets. Huma Terra Lodge, perché entre jungle et rizières dans le sud du Sri Lanka, est bien plus qu’un hébergement : c’est un manifeste. Quand ils apprennent que le lieu est en vente, Marjorie et Chamika n’hésitent pas. Chiner des antiquités sri-lankaises pour la réception, dénicher des carreaux de ciment façonnés à la main pour le restaurant, rapporter des papiers peints européens… chaque détail pensé comme une déclaration d’intention. Quatre cabanes en bois, une chambre plus spacieuse, cinq salariés du village à temps plein. “Les retours clients sont extraordinaires, ils adorent, et ça me fait un plaisir fou parce qu’on y a mis énormément de cœur”, sourit Chamika.
Ce même soin se retrouve dans la Fondation Atypique, née en 2020. Une partie de chaque voyage y est reversée. Construction d’une bibliothèque à UdaWadiya, création de zones “plastic-free” dans des monastères-écoles, chantiers interculturels entre jeunes sri-lankais, français et malgaches. L’éducation, l’émancipation féminine, la transmission. Et la certification tourisme durable ? Niveau “partner” atteint en 2024 - “il faut quelqu’un à 100% pour ces démarches, sinon on fait toujours notre cœur de métier et on laisse le reste de côté.”
Sur place, l’expérience prend une autre dimension. Raphaël et Thomas, les responsables B2B francophones disponibles 24h/24, partagent ces petits extras gardés secrets, ces bons plans révélés une fois sur l’île. Et quand les voyageurs leur envoient des selfies avec leur serveur de restaurant, des photos de fous rires partagés avec leur chauffeur, Atypique sait que la magie opère.
Demain ? Le Vietnam renaît, d’autres destinations suivront.
L’humain reste au centre. Même face à l’IA, ils gardent confiance : “Elle pourra assembler des pièces, mais pas rassurer un voyageur inquiet. Ni gérer un vol annulé avec empathie. On va utiliser ces outils pour se libérer des tâches chronophages et avoir encore plus de temps pour l’humain.”
Les caravanes TogeZer annuelles où Chamika serre des mains, boit des cafés, parle d’autre chose que de voyages. Ces coups de fil à l’arrivée, ces moments où le professionnel devient personnel. “Ce lien humain, c’est ce qui fait qu’on a envie de travailler ensemble.”
Chez Atypique, chaque détail compte. Et surtout, chaque présence. Le voyage commence souvent par un mail, un doute, une hésitation. Il se prolonge dans un regard échangé avec un moine, un tuk-tuk qui prend des chemins de traverse, un fou rire autour d’un dhal curry. Il ne s’arrête jamais vraiment. Parce qu’ici, on ne trace pas des routes. On tisse des liens. Et dans un monde qui va vite, c’est peut-être cela, le luxe ultime : voyager avec d’autres, au rythme du vrai. Avec la certitude qu’au Sri Lanka, derrière chaque pépite, il y a un visage qui sourit et une histoire qui n’attend que d’être partagée.

